expulser la femme qui est en nous qui nous oblige à transgresser / à s’élever comme l’encens comme le sel des marées basses aux pieds nus infiniment petits isoler l’amour et la femme dans ses quartiers de haute mésaventure adjugés pour les dimanches de grande patience
jusqu’au jaillissement de la dernière goutte d’homme à chevaucher le long des rives sans amarres jusqu’à l’accomplissement de mes désespérances sans succès
ce sont des mots que je voudrais entendre dire des mots de tous les continents à épeler doucement par la bouche et la salive des hommes des mots qu’on ne prononce que le matin d’anniversaire des mots de jeunes filles adoucis dans les lèvres des mots enfermés dans l’abondance des récoltes des mots aux rêves les plus anciens des mots provoqués par la permanence des fleurs et des ilotes des mots à la mesure des empreintes et des tendresses des mots pour que je me souvienne sans chercher des mots de ville de filles élancées de la moisson à venir des mots pour ainsi dire que je répèterai les mains ouvertes
ce sont des mots que j’aimerais aussi apprendre à dire des mots de l’omoplate fatigué de ta joie des mots aussi rares que le soleil après la neige des mots graciés avant même la sentence des mots que l’on se dit à vingt ans des mots de haute cheminée au-delà de tes yeux des mots d’un enfant orphelin égaré dans le deuil des mots qu’on ne prononce qu’à la première douleur qu’à chaque battement de cœur d’un ultime honneur
soit la migration des monarques et ses sujettes à plein la vue / la lune qui prolonge les amours / les mots au festival des tulipes ce sont des mots qui nous forcent à écrire dans la passoire des syllabes et des voyelles entremetteuses jusqu’à la déraison
ce sont des mots si fragiles au large de nos bras des mots à chaque étape de mon adolescence des mots de cœur qui m’apportaient source de l’amitié ces mots ce sont les mots à chaque fois que tu es belle ma femme toujours plus belle à chaque grossesse rapide
voilà il n’y a que nos mots dans les îles qui ont fait naufrage aux souvenances de ce que nous sommes / primates mal rangés contre leur gré qui n’ont pas eu la chance de se moquer des fleurs et des coquelicots sur les plages
devrais-je choisir le mythe de l’horreur / le désarroi de l’arc-en-ciel / la tiédeur de nos tendresses à partager au rythme des scarabées
des mots toujours des mots à ne pas dire dans ce pays où se surveillent les fantômes / où veillent les poètes de province dans tout leur mécontentement des mots que l’on se dit à vingt et un ans des mots usés sur ta joue noire des mots captifs de la main d’un enfant des mots noyés à chaque fois que tu t’interroges sur le pavot de ma conscience des mots indéchiffrables à peine débarqués des limons des mots de privation sans appartenance aux neuvaines et aux prières de misaine des mots sans carte de navigation pour aller en haute mer des mots qu’on ne prononce que le dimanche de carnaval et dans les îles
et voilà que j’aimerais fixer l’eau de ton exil éclaté comme un naufragé au fond du golfe de ses pénitences afin de regarder les fleurs sur la route d’où je suis né villages sans racine et villes sans histoires depuis le temps de la quête inachevée des crucifiés et salamandres de première main
mais regarde avec élégance cette douleur désamorcée ce gémissement de ma géographie cette nomenclature de circonstance laissée derrière toi et tous ces mots évanouis dans la mêlée comme l’iguane désordonnée
regarde ce qui fait la différence entre mes conquêtes et les conséquences à ma liberté regarde les mots ces mots de femmes de première vigile mots d’enfants effrayés et qui ont faim mots de putes à rabais et sans joie les mots de tous les jours de ma jeunesse dans les rues ces mots qui ne reviennent guère aux fêtes de l’enfance
ce livre ouvert sur la table parmi les bègues et les obèses du collège qui m’ont fait croire que la femme est une brisure de mon côté gauche ---- à surveiller dans mes poèmes et mes voyelles à boire jusqu’à la rédemption de mes trente ans
regarde au loin cet enfant de premier chant qui n’a pas encore menti ni partagé la grande route des folles peines regarde ses yeux et son sourire à moitié lu parmi la foule des aveugles qui quelque part nomment les poètes
c’est que j’aimerais apprendre à lire les mots de l’amitié qui fait l’éloge des anémones et des muguets à désirer la page illisible mais qui dit les mots de ma désespérance le cheminement de mes absences prolongées la joie de mes désillusions formulée sans même y croire
à toi la diseuse de la bonne aventure de vivre ivre parmi les hommes et parmi ceux de la mauvaise saison ceux qui couchent dans leurs saletés parmi les hommes et les musées friands des femmes amoureuses de brutes et de tulipes
passe ton chemin et remplis les vers de la mémoire voyante improbable que je griffonne dans mon sommeil fille d’Athènes que j’ai perdue en chemin dans le frimas de ma patience démesurée dans la ville
c’est qu’il me faut apprendre à dire des beaux poèmes que l’on entend qu’une fois aux pêches de l’amour au fond du jour et près d’une main de femme que boulange le désir
ô crieurs de journaux du samedi vous qui faites passer les mots du quotidien qui chancelez vers moi abandonné dans les pages vous qui n’existez que dans l’asphalte des rues qui dites les blessures de ce pays d’agonies qui faites la louange du bonheur et de l’amour des hommes pour cette terre d’entretués jusqu’au massif du monde vous crieurs de journaux du dimanche et que j’accueille sans réticence dans ma défiance dans ma douleur ma clameur
pourrais-je encore avec des mots du clochard essayer d’apprendre à dire des poèmes dans la morosité de la nuit jongleuse de mon enfance à dire la louange et la feuillée des mots qu’il ne faut guère retenir ces mots de la fraternité en marche ces mots que l’on ne se dit qu’à vingt ans ces mots que l’on écrit sans virgule sur la paume de la main d’une femme passagère sous la poussière du vieil âge
Montréal (Saint-Léonard), Parc Luigi Pirandello 15 avril 2005
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